Monday, November 24, 2014

Rebonjour


Dans l’intimité toute impersonnelle d’un ascenseur, et après s’être descendus quelques étages,  c’est elle qui, la première, l’avait aperçu,  lui qui semblait ne s’apercevoir de rien -- de se reposer, les yeux mi-clos, pendant ces quelques précieuses secondes après une longue journée au travail, heureux de pouvoir rêver un petit peu avant de devoir sortir au crépuscule d’hiver, ou bien simplement  ne penser à rien du tout.

Et en fait, ce n’était peut-être pas à cet instant même qu’elle s’était rendu compte de ce qu’il était bien là, à  deux empans d’elle, dans ce compartiment de plus en plus privé  au fur et à mesure qu’il se vidait des autres passagers.  Mais elle n’avait pas voulu faire signe de ce fait, avant que la circonstance d’être enfin arrivés, ensemble, seuls (voire solitaires), à leur destination  au rez-de-chaussée, n’eût rendu inévitable la reconnaissance mutuelle, n’était-ce qu’à cause de son réflexe coutumier de gentleman qui, sentant enfin le lent et léger atterrissage de l’engin, regarde brièvement autour de lui, pour voir s’il n’y avait quelqu’un ou plutôt quelqu’une qu’il devait laisser sortir avant lui, sans même en faire signe (la chose étant entendue) si c’était une dame âgée ou un handicapé, ou bien, dans le cas contraire, avec un petit geste pour indiquer à des jeunes femmes que, malgré leur moindre âge, il leur accordait le privilège de leur sexe :  autrement, dans le cas assez fréquent où il ne se trouvait à côté de lui que de jeunes soldats en uniforme, il sortait lui-même sans hésitation, non point par sentiment de supériorité, mais plutôt en les saluant, pour ainsi dire, leur service militaire.

Enfin se trouvant devant l’inéluctable, et ne voulant pas que ce soit lui qui, le premier, la salue -- ou, pire, s’abstienne de la saluer (par méconnaissance  ou par dépit, elle ne saurait jamais) -- elle s’inclina légèrement de la tête, timidement, incertaine de ce que serait la réponse de ce monsieur tant redoubté.  Car ils avaient, l’un et l’autre, la sensation de s’être un peu brouillés, on ne savait déjà trop pourquoi (et en effet, ce n’était qu’à cause d’un différend voulu par un tiers, qui était proche d’elle, mais elle n’avait joué qu’un rôle insignifiant  dans l’affaire), avec ce résultat que, depuis assez longtemps, ils ne s’étaient plus vus, et ne s’étaient écrit que quelques lignes, sèches et correctes, de temps à autre, au besoin de la besogne.

Or, lui la regarda, mais ne semblait pas la reconnaître tout de suite -- non pas par quelque froideur que ce soit, mais tout simplement parce qu’il ne s’était pas attendu à la rencontrer ici, elle qui travaillait pour un bureau lointain, dans une autre ville, bien que pour le même patron.   En surcroît, elle ne lui semblait pas tout-à-fait familière de prime abord :  le visage pâle, et légèrement plus âgée après une année ou deux d’absence et (comme elle lui avait confié, avant la brouille) de maternité :  il fallait qu’elle se rassemble ses traits  sous son regard, se focalise, telle le négatif d’une photographie, qu’on laisse quelques moments mijoter dans son bain chimique.  Et puis, se rendant compte que c’était bien elle, il la salua de bon gré, s’informa de la raison de sa présence ici-bas, et demandait de ses nouvelles.  Allégée, elle le mettait au courant.

Ils parlaient de ci, de ça, en franchissant le vestibule, et en ajustant leurs écharpes et paletots.  Une fois dehors, ils prirent congé l’un de l’autre, correctement ;  leurs sentiers se scindèrent.


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